Biography
(en anglais)
Galerie thématique Photographies Interview
Actualités Books and cards
(en anglais)
International press
(en anglais)
Page d'accueil
Expositions Photos de l'expo "Chepik au Moulin-Rouge"

 

SERGEI CHEPIK

Gallerie "Chepik au Moulin-Rouge"

cliquez sur les photos pour les agrandir

English Version Exposition à la Catto Gallery à Cork Street (Mayfair) 26 septembre - 6 octobre 2001
- Cliquez ici pour accéder aux photos de l'expo "Chepik au Moulin-Rouge" -

 

L'échauffement Avant le Cancan Les Girls

Vlada

Auto-Portrait au Moulin-Rouge La Ronde Solo Hip-Hop
French-Cancan

 Un, Deux, Trois

Le Bal du Moulin-Rouge 2000

(c) Sergei Chepik

LE MOULIN ROUGE (2000-2001) OU L'ENVERS DU DECOR

Par Marie-Aude Albert

Moulin-Rouge

On serait tenté à propos du travail de Chepik de formuler une loi : celle de l'alternance. Tragédie et comédie, austérité et légèreté, réflexion et distraction alternent en effet avec une belle régularité. Ainsi, laissant la foule devant le corps martyrisé du Christ, l'artiste descend du Golgotha et pose aussitôt sa palette devant la chair glorieuse d'une Vénus noire. Quittant la monstrueuse mégapole où hurle en vain le Prophète, il se précipite dans les arènes d'Arles ou les champs de tournesols. Il échappe au cauchemar de Roulette russe en embarquant sur sa chère Nef du Bonheur et fuit la sarabande inquiétante de Diavolade en rejoignant la joyeuse ronde du Carnaval de Venise

Nul étonnement donc à voir Chepik, au sortir d'une année de travail sur la Russie Crucifiée, entrer dans les coulisses du Moulin Rouge : " Oui, en septembre 1999, après six mois de tension extrême, d'exaltation mais aussi de souffrance, de travail acharné sur la Russie Crucifiée, j'ai éprouvé le besoin de passer à quelque chose de, disons, plus léger. En achevant cette œuvre gigantesque où j'avais mis tant de réflexions, d'émotions, et d'interrogations souvent douloureuses, j'ai ressenti en moi un grand vide que j'ai cherché aussitôt à combler en retravaillant au pastel des lithographies, une expérience technique plutôt que de pure création, qui m'a néanmoins passionné. Mais, tout au long de ce travail, j'avais l'intuition qu'il me fallait trouver un thème diamétralement opposé à celui qui m'avait absorbé, âme et corps, pendant de si longs mois. "

Le hasard ou la bonne étoile de Chepik heureusement veillaient… Nombreux sont aujourd'hui les artistes russes exerçant leurs talents dans les revues et les cabarets parisiens, et c'est grâce à un danseur russe du Paradis latin que Chepik fut en octobre 1999 introduit au … Moulin Rouge : " Volodia présenta mon livre au directeur, Jean-Jacques Clérico, et je fus invité à le rencontrer et à visiter l'établissement. Je lui expliquai que je souhaitais réaliser sur le vif des croquis du spectacle côté scène et côté coulisses. Il accepta, et sur le coup, me proposa même de dessiner un projet d'affiche pour la revue, ce que je fis immédiatement, mais ce projet resta dans mes cartons... Peu importe d'ailleurs, car l'essentiel était d'obtenir un laissez-passer me permettant durant plusieurs semaines de fréquenter l'établissement comme bon me semblait ".

Ainsi d'octobre à décembre 1999, Chepik devint un visiteur assidu du célèbre Moulin du boulevard de Clichy où il trouva parmi les danseurs et danseuses de la troupe un grand nombre de ses compatriotes, ce qui facilita grandement son travail. Il bénéficia en outre d'une chance exceptionnelle, car le Moulin Rouge s'ouvrit à lui au moment même où s'y créait la nouvelle revue " Féerie ". Il put ainsi assister à tout le travail préparatoire du chorégraphe et des danseurs, suivre les classes de danse et les répétitions, les séances d'échauffement et d'essayage des costumes, les moments d'enthousiasme et de découragement. " Je suis entré non seulement dans les coulisses, mais encore dans " le laboratoire " du Moulin Rouge ; j'ai vu au jour le jour la nouvelle revue prendre forme ; c'était une véritable création, sans costume ni décor au départ , passionnante et bien plus intéressante que le spectacle achevé que les touristes du monde entier peuvent voir dorénavant tous les soirs ". La plupart des toiles de la série témoignent des étapes successives de ce show extraordinaire dont Chepik se flatte d'avoir été l'unique spectateur. Ainsi, le chorégraphe américain Bill entraînant la troupe des danseurs en justaucorps et survêtements sur un plateau encore vide mais déjà violemment éclairé par les projecteurs (Hip-Hop). Ou cette scène de répétition traitée en camaïeu de gris et admirablement construite sur une simple opposition de lignes horizontales et verticales (Un, deux, trois). Ou encore cette étonnante vue panoramique de la salle de spectacle où des girls emplumées évoluent devant le public attentif ou indifférent des danseurs et danseuses qui s'échauffent, se relaxent ou bavardent en attendant leur tour (Rouge et or).

Bien sûr les quelques 25 toiles que compte la série du Moulin Rouge n'ont pas été réalisées dans le célèbre établissement parisien ; ce sont des compositions créées et exécutées en atelier à partir des quelques 1500 croquis à la plume ou au crayon que Chepik a accumulés dans des carnets au cours de ses deux mois d'observation : " Pour plus de commodité, j'ai fait des photocopies de tous mes dessins, et les ai rassemblés ensuite sur de grands panneaux par thèmes. On trouve ainsi le thème du chorégraphe, le thème de l'échauffement, le thème des coulisses, celui du French Cancan etc. ". Toutes ces toiles sont bien le reflet de choses vues, mais elles ne sont pas pour autant des reportages documentaires. Elles sont des re-créations, des re-compositions où l'harmonie générale des lignes et des couleurs est bien plus essentielle que le souci du détail vrai : " En fait, j'ai cherché tour à tour des formules : la formule des coulisses, la formule de l'échauffement, la formule du Cancan, etc. j'ai souvent imaginé les costumes et j'ai même inventé des détails réalistes qui vont contre la vérité, comme ces cigarettes que fument danseuses et techniciens dans les coulisses, -ce qui est strictement interdit par le règlement-, mais dont j'avais besoin pour rendre tout le prosaïsme de l'envers du décor. " Et les nombreux visages qui défilent derrière et devant la scène ne sont pas des portraits, même si l'on reconnaît la silhouette trapue de Bill le chorégraphe, la gracieux visage de Vlada la meneuse de revue ou les traits anguleux d'Igor qui danse chaque soir le rôle de Valentin le Désossé : " Les danseurs ont bien sûr posé pour moi, mais j'en ai fait d'abord des prototypes au service des différentes formules que je recherchais ". Ainsi cette toile carrée construite sur deux diagonales croisées où quatre superbes filles longilignes, en collants, pantalons et t-shirts, blondes et brunes, exécutent autour du maître de ballet une ronde idéale que ce dernier rythme d'un claquement de doigts (La ronde).

On aurait pu s'attendre à une explosion de couleurs au royaume des plumes, du strass et des paillettes ; en fait la palette de Chepik reste étonnamment sobre et beaucoup de toiles se réduisent à un camaïeu de gris rehaussé de noir et de blanc. Il semble que l'intensification de la couleur suive la progression même du spectacle : quasi absente dans les classes de danse et les toutes premières scènes de répétition où Chepik a de toute évidence privilégié le dessin (La Classe de danse ; Un, deux, trois ; Hip-hop ; le Rideau) ; encore timide dans les premières répétitions en costume où une dominante tantôt rouge (Vlada), tantôt jaune (Rouge et Or) jaillit çà et là du fond gris-bleu ; bientôt éclatante dans les toiles consacrées au spectacle fini (Les Girls, French Cancan) ou encore dans cette étrange composition quasi fauve où des filles aux visages plâtrés de blanc et aux bras gantés de rouge étirent leurs longues jambes gainées de noir sur un sol orange vif (Avant le Cancan).

Quel artiste pourrait aujourd'hui peindre une scène de cancan au Moulin Rouge sans éveiller aussitôt chez le spectateur le souvenir de la Goulue et de Lautrec ? Chepik n'a pas manqué bien sûr de rendre hommage au peintre de génie qui l'a, voici un siècle, précédé en ce lieu mythique de la vie parisienne. Mais les danseurs et danseuses d'aujourd'hui que Chepik a peints avec tendresse et humour devant l'affiche célèbre de la Goulue n'ont guère de points communs avec les artistes de la belle Epoque que Lautrec a immortalisés. Et si les ailes du Moulin et les affiches de Lautrec accueillent toujours les visiteurs, l'atmosphère encanaillée du Bal du Moulin Rouge et ses danses scandaleuses ont depuis longtemps disparu pour laisser place à un spectacle très internationalisé, bien rodé et parfaitement exécuté, qui ne tolère aucune improvisation : " A l'époque de Lautrec le bal du Moulin Rouge était un dancing où des professionnelles venaient exercer leurs talents multiples et variés…Le cancan de la Goulue et des filles de la Butte était vraiment scandaleux, érotique, avec ces culottes fendues que guettaient les spectateurs, alors que les danseuses d'aujourd'hui portent trois paires de collants. Quant aux danseuses nues, leurs corps parfaits et leurs superbes poitrines sont à ce point fardés et poudrés qu'elles font plutôt l'effet d'admirables et intouchables statues. Ceci dit le Cancan reste pour moi la meilleure partie du spectacle actuel, car la moins américanisée ". Si Lautrec apparaît sous forme de citation dans la toile Le Bal du Moulin Rouge 2000, il n'a de l'aveu de Chepik joué aucun rôle dans son appréhension du sujet, dans le traitement du mouvement, dans le dessin ou la couleur : " Lautrec, c'est un autre style, une autre esthétique, une autre vision du monde, une autre technique… La seule chose qui puisse nous rapprocher, c'est que nous avons dessiné sur place et qu'il a habité rue Caulaincourt où je vis et travaille actuellement. Mais, fondamentalement, nous sommes deux peintres très différents. Ce qui est drôle pourtant, c'est que les gens du Moulin Rouge en parlant de moi disent affectueusement " notre Toulouse-Lautrec " ; c'est sans aucun doute flatteur, mais cela ne correspond nullement à la réalité. "

La série de toiles et de dessins du Moulin Rouge, étonnante dans la diversité des points de vues adoptés, des styles et des techniques utilisées, s'achève néanmoins sur une vaste composition synthétique, Moulin Rouge (peint en 2001) où l'on reconnaît du premier coup d'œil la manière de Chepik, celle qu'illustraient déjà Nostalgia, le Songe d'une Nuit d'Eté ou la Place Rouge. Une construction rigoureuse et savante où s'inscrit une vision originale à la fois réaliste et fantasmagorique. Une construction et une vision qui étaient curieusement celles du projet d'affiche pour un Moulin Rouge que Chepik ne connaissait pas encore…

De la Place Rouge au Moulin Rouge, la distance peut sembler incommensurable, et le chemin parcouru incompréhensible! Mais, plus que de rupture, ne conviendrait-il pas de parler de continuité ? Et ne pourrait-on pas dès à présent imaginer que, sitôt les lumières du spectacle éteintes, Chepik plongera dans d'anciennes ou de nouvelles ténèbres ?

(c) Marie-Aude ALBERT 2001